Céline Forest, élue « personnalité client de l’année 2019 » par le média RelationClientMag, détentrice de la palme d’argent « du directeur client de l’année 2019 » (AFRC) et reconnue par Les Echos avec un Next Leaders Award (2020), est l’auteure de “Expérience clients, la revanche du BtoB” édité par Kawa. Découvrons avec elle les enjeux de l’expérience clients.
Jean-Denis Garo : Nous passons d‘une ère de la relation client à celle de l‘expérience clients, pourquoi ?
Céline Forest : Depuis quelques années, il est devenu nécessaire d’intégrer une dimension émotionnelle à la relation client, au-delà des enjeux rationnels de réponse aux standards de qualité. C’est l’intégration de cette composante qui caractérise ce passage de la relation à l’expérience clients. Il ne s’agit plus uniquement de répondre au besoin ou à la demande d’un client mais de prendre en considération les émotions vécues et partagées, mais aussi son ressenti pour s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue du service délivré.
Le directeur de l’expérience clients est clé, pourtant c’est un rôle en cours de définition. Quels sont les contours de sa fonction ?
Le rôle du directeur de l’expérience clients est de « mettre en musique » les collaborateurs sur la thématique de l’expérience clients mais aussi de faire valoir les intérêts du client, être son porte-parole au sein de l’entreprise.
Il doit être représenté au sein de l’ensemble des instances de décisions de l’entreprise et travailler étroitement avec les fonctions commerciales et opérationnelles, celles qui sont au contact quotidien des clients.
C’est une fonction qui doit être rattachée à la direction générale pour bénéficier d’une forte légitimité et disposer de marges de manœuvre transverses. L’expérience clients est en effet un enjeu d’entreprise et concerne l’ensemble des collaborateurs. Qu’ils soient au contact direct ou non des clients, leurs actions et leurs postures ont un impact in fine sur la satisfaction du client.
Mesurer et piloter l’expérience clients est crucial. De nombreux outils, indicateurs existent, il en est deux qui semblent se distinguer le NPS (Net Promoter Score) et le CES (Customer Effort Score). Quelle est votre préconisation en la matière ?
Je mentionnerais un troisième indicateur, en complément de ceux que vous citez, à ne pas négliger : le taux de satisfaction des clients (CSAT).
Ces trois indicateurs sont complémentaires et, lorsqu’ils sont combinés, permettent de bénéficier d’une vision exhaustive de la qualité de l’expérience délivrée aux clients et d’identifier les axes d’améliorations à travailler prioritairement pour s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue.
Pour que ces indicateurs soient utiles, il convient de les analyser, en capitalisant notamment sur les verbatim associés aux différentes enquêtes réalisées pour calculer ces indicateurs.
Il est important par ailleurs de souligner que ces indicateurs doivent être utilisés avec précaution et rigueur pour qu’ils soient réellement pertinents et donnent une vision objective de l’état de la relation client. Le NPS a parfois été dévoyé car utilisé à mauvais escient : pour évaluer les collaborateurs ou en extrayant des panels les clients ayant émis des réclamations récemment par exemple (dans l’idée d’obtenir un score plus élevé).
Pour nourrir l‘analyse, il peut être intéressant de recourir à des solutions d’analyse sémantique qui permettent de traiter des volumes importants de données et d’effectuer une analyse fine grâce à l’intelligence artificielle, prenant notamment en considération des éléments subjectifs tels que l’identification du second degré par exemple.
Dans un contexte de compétitivité accrue entre les entreprises, l’expérience clients est-elle la clé de la fidélisation ?
Je citerais quelques chiffres issus de l’Observatoire de la fidélité :
- Recruter un client coûte trois fois plus cher que de le fidéliser.
- Reconquérir un client mécontent coûte 12 fois plus cher.
La nécessité de prendre soin de ses clients pour les fidéliser semble évidente. En effet, si vous prenez soin de vos clients, un attachement à la marque pourra se développer et ils seront ainsi davantage à même de rester fidèles à votre marque.
De nombreuses études démontrent par ailleurs qu’il existe une corrélation entre les performances d’une entreprise et son orientation client.
A noter également que « 15% des clients les plus fidèles contribuent à 60% des ventes totales de l’entreprise » (Trusteam Finance) et que « dans la plupart des industries, le NPS explique entre 20% et 60% de la variation des écarts de croissance organique entre les concurrents » (Bain & Company).
Le nombre de médias/canaux permettant les interactions clients sont nombreux. Après une phase de multiplication de ces canaux, les entreprises s’engagent dans une rationalisation et une automatisation. L’IA, au-delà des chatbots, apporte de nombreuses applications notamment autour de la gestion des messages. Pensez-vous que l’IA augmente l’agent ?
On a en effet connu, grâce à l’avènement du digital, une expansion massive des canaux d’interactions. Chatbots, formulaires web, etc.
On a coutume de présenter l’humain et le digital comme des ennemis en proie à un duel alors qu’à mon sens, il s’agit davantage d’un duo permettant de désaliéner le travail en automatisant les tâches à faible valeur ajoutée. Cela permet aux collaborateurs de davantage s’épanouir et de donner du sens à leur travail en réallouant notamment le temps économisé au renforcement de la relation avec les clients.
Concernant la question plus spécifique de l’IA, elle permet de nombreuses applications dans le domaine de l’expérience clients :
- L’analyse sémantique des verbatim clients qui va permettre de bénéficier d’une analyse approfondie des réclamations et parfois aboutir à des propositions de réponse pré-rédigées aux sollicitations,
- Les chatbots pour fournir à l’usager un nouveau canal d’interaction digitalisé à même de répondre à ses questions,
- L’analyse des corrélations entre les performances de l’entreprise et son orientation client,
- La reconnaissance faciale pour sécuriser les solutions applicatives.
La question écologique s’impose aussi à l’agenda des directions informatiques, en particulier parce que les nouvelles générations de consommateurs y sont très sensibles. Les études de consommation CO2 se multiplient, par exemple une IA symbolique sera bien moins gourmande que le machine learning. En quoi est-ce important ?
Cette question me semble primordiale à l’heure où l’éco-responsabilité des entreprises devient une norme attendue des usagers et non plus une différenciation marketing comme cela a pu l’être par le passé.
Les usagers, et en particulier les nouvelles générations, sont en attente d’engagements de la part des sociétés avec lesquelles elles interagissent. Dans un monde où nous sommes de plus en plus attachés au sens de notre action et à notre impact sur la planète, ce type de considération occupe une place de plus en plus centrale dans les décisions d’achat.
Pour moi, une expérience clients réussie repose sur l’alignement de ce que j’appelle les 3C de l’expérience clients : C comme Clients, C comme collaborateurs et C comme Corporate. Cette dernière dimension désigne les engagements et valeurs portées par l’entreprise, ce qui définit son identité. Les clients mais aussi les collaborateurs étant de plus en plus sensibles à la cause écologique, il est naturel que les entreprises s’emparent du sujet et adoptent des comportements écoresponsables, y compris dans le choix des outils utilisés.
Comment envisagez-vous l’évolution du rôle de manager ? Le développement du télétravail a-t-il eu un impact sur les pratiques managériales ?
Le télétravail a contraint les managers à faire davantage confiance à leurs équipes. Ce qui est une bonne chose. Travailler à distance rend en effet difficile la pratique du contrôle managérial et du micro management. Ce changement de posture s’intègre dans une évolution plus structurante des modes de management. De la posture de chef paternaliste à celle de leader inspirant, les pratiques sont en pleine mutation sous l’impulsion des nouvelles générations qui ont des attentes nouvelles.
Les collaborateurs d’aujourd’hui n’aspirent pas à faire toute leur carrière au sein d’une même entreprise, mais de tester différentes approches, bénéficier d’expériences internationales souvent et parfois même tenter une aventure entrepreneuriale. Et pourquoi pas, revenir ensuite dans leur entreprise initiale mettre en pratique ce qu’ils ont pu apprendre ailleurs !
Pour fidéliser les talents, il faut donc être à même de faire preuve de souplesse, tant sur la flexibilité des missions que l’aménagement du temps de travail. Je pense que le manager de demain devra accepter qu’un salarié puisse consacrer une partie de son temps à d’autres projets personnels et professionnels, qu’il puisse s’investir dans des causes sociétales et le soutenir le cas échéant, etc.
La crise du COVID-19 et la quête de sens qui marque cette période accélèrent la progression de cette tendance.
Découvrez toutes interviews de notre série Interfaces :
- Interfaces avec Sophie Duême (partie 1), co-auteure de l’ouvrage « Pro en Relation Client »
- Interfaces avec Sophie Duême (partie 2), co-auteure de l’ouvrage « Pro en Relation Client »
- Interfaces avec Gilbert Ton – Fondateur-Associé de NewCo Data Services et co-auteur de l’ouvrage “Chief Data Officer” édité par Eyrolles en septembre 2020.
- Interfaces avec Alain Conrard, CEO de Prodware Group et Président de la Commission Digitale du mouvement des ETI (METI). Auteur de “Osons ! Un autre regard sur l’innovation”
- Interfaces avec Mick Levy, Directeur de l’innovation business chez Business & Decision, et spécialiste de la donnée. Auteur de “Sortez vos données du frigo”
- Interfaces avec Alain Yen-Pon, co-auteur de l’ouvrage « Chief Data Officer »
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